Popay : “J’ai entamé une reconquête monumentale du mur”
Le street artist nous raconte son parcours créatif hors des sentiers battus : un mouvement urbain victorieux et en constante évolution.
Popay, peux-tu te présenter ainsi que ton parcours ?
Né à Barcelone, j’ai habité en banlieue parisienne depuis mes 2 ans, puis à Paris à 10 ans. Vers 15 ans, j’ai été attiré par le graffiti, alors que j’étais déjà sensible à la peinture et la BD. Après mon bac, j’ai raté le concours d’entrée aux Beaux-Arts et aux Arts Déco. J’ai continué donc à pratiquer le graff jusqu’à mes 23 ans de façon intensive. Ensuite, j’ai commencé un stage dans une boîte d’effets spéciaux où j’ai eu une révélation pour l’outil numérique. En 1993, j’ai eu la chance d’être formé sur le film La cité des enfants perdus ce qui a été pour moi décisif quant à ma sensibilité au numérique. Malgré ça j’ai arrêté au bout d’un an pour incompatibilité sociale avec ce milieu et j’ai commencé à fréquenter le milieu de la techno et des squats. J’ai commencé à me resocialiser un peu avant la naissance de mon fils quand j’ai renoué avec l’outil informatique en m’achetant mon premier Mac avec palette graphique.
Après ma séparation avec la mère de mon fils, je suis retourné dans la famille des squatteurs en habitant à la Miroiterie pendant 3 ans. J’ai pu m’en extraire et pris aussitôt un appartement à Montreuil où j’ai vécu 10 ans tout en travaillant ma peinture dans un squat attenant, Woodstock. À la fermeture de ce dernier, je me suis installé à St-Maur-des-Fossés où je vis et travaille aujourd’hui.
Depuis 2011, j’avais aussi renoué avec le marché de l’art que j’avais jusqu’alors renié, subvenant à mes besoins en travaillant dans l’illustration et dans le graphisme pour la scène musicale underground.
Depuis 2018, j’ai entamé une reconquête du mur, monumentale cette fois, en transformant et en adaptant ma production à peindre plus de murs que je n’en avais peints pendant toute ma carrière de graffeur, en comptabilisant environ de 2000m2 entre l’Ukraine, l’Espagne, la Belgique et la France !
Ta création varie dans les supports : murs, toiles, affiches, pochettes de disques… Comment décrirais-tu ton style ?
Un style est difficile à décrire autrement qu’en images, je laisserai cette difficile tâche aux littéraires. Grosso modo, je crois que j’ai toujours essayé de brouiller les pistes, en m’investissant là où je ressentais de l’attrait, avec le souci particulier d’accorder le moins d’importance possible à la cohérence, voire de revendiquer activement l’incohérence de mes choix. Probablement en réaction au caractère uniformisant de l’approche marketing de la plupart des mouvements artistiques depuis, je ne saurais dire combien de temps, mais peut-être que ça remonte à Léonard ! Aujourd’hui, nous vivons une renaissance, des moyens techniques inespérés sont apparus depuis une bonne trentaine d’années maintenant ; nous avons eu une période d’apprentissage. Le danger a été de penser la modernité dans l’apparence de nouveaux outils, ce qui est une erreur à mon sens, comme le futurisme a vanté les avancés de l’ère industrielle. Or, il a quand même fallu s’approprier ces nouveaux outils technologiques pour les imprégner d’un esprit et ne pas être simplement dans la démonstration technique comme le réalisme parfois peut se suffire de l’être. L’apprentissage de la bombe avait déjà été un élan vers de nouveaux outils, qui avaient même, à l’époque, une connotation futuriste, voire assimilée au sabre laser du Jedaï. C’est un peu comme l’apparition de tubes de peinture à la fin du 19e siècle qui allaient permettre aux Impressionnistes de parcourir le terrain, de transformer ainsi le thème et l’exécution, ou comme a pu le faire Rimbaud dans la poésie, au plus près de l’action et de la description de l’état d’âme. Aussi, j’ai essayé d’adopter, avec le plus d’enthousiasme et de sincérité possible, tous les domaines qui m’ont parus être source de renouveau ou de créativité, dans la limite de mes compétences, bien sûr. J’aurais en réalité beaucoup aimé être modélisateur 3D, ce que je considère être le réel héritage de le Renaissance, ou bien travailler le codage, ce que je fantasme comme une poésie liant la sensibilité de l’homme à l’âme de la machine, qui n’est autre qu’un reflet de lui-même. Mais j’ai continué la peinture, aussi par opportunisme, lorsque le marché s’est trouvé dans un contexte plus favorable que dans les années 2000 quand la scène artistique a été complètement maudite, au même titre que les poètes du mouvement issus de l’inspiration initiée par le Comte de Lautréamont, à la différence d’être criminalisé juridiquement.
Tu peins des fresques, sujets tirés d’un monde merveilleux. Est-ce qu’il y a un héritage culturel de tes origines espagnoles qui se traduit dans tes productions ?
Je ne crois pas que l’emprise des lutins et d’autres fééries soient propres à mon bagage hispanique, « trahi » par les consonances de mon nom, puisque je ne me sens pas moins flamand que vosgien par mon sang et parisien de culture. D’autre part, les sujets surnaturels ont été évoqués par de nombreuses cultures soucieuses de rendre visibles les esprits du monde invisible.
Qu’est-ce qui te différencie de la scène parisienne du graffiti ?
Je ne sais pas si c’est à moi de le dire, encore une fois, et je ne peux manifestement en être le fruit le plus direct. Mais peut-être vous référez-vous à cette multitude d’influences et d’inspirations quasi schizophréniques assumées et revendiquées ?
Quelle est ta technique, ton univers préféré ?
Supposé ouvert d’esprit, je ne voudrais pas me limiter à telle ou telle technique, même si j’ai eu des épisodes avec un intérêt particulier pour ne pas dire une obsession pour un outil, ce qui conditionne le fait de prétendre qu’on le maîtrise. Mais j’avoue que j’ai eu quelques moments magiques en utilisant la bombe, le stylet numérique ou bien l’aérographe qui ont une résonance particulière en moi.
Qui sont les humains que tu représentes ?
Soit dans un exercice de dextérité je m’attelle à traduire et rendre visible l’esprit d’une personne dans un portrait, soit parfois je tente de faire ressortir l’aspect animal de l’humain ou bien l’humanité de la bête, me concentrant ainsi à emmener un reflet du vivant vécu autant que cela m’est possible. J’essaie surtout d’éviter de reproduire une image supposée réaliste estimant qu’il y a plus de réalisme dans l’expressivité que dans la ressemblance photographique. Je suis plus attiré par l’évocation d’une expression, peut-être influencée par l’esprit de la bande dessinée qui m’a tant marquée dans ma jeunesse.
Comment l’art urbain a-t-il évolué, selon toi, à Paris depuis les années 80 ?
Même si une certaine pureté d’approche tant dans la motivation que dans la technique ou bien dans l’intérêt pour le style a été bafouée, je pense que même si de plus en plus d’opportunités se sont présentées tant en surface qu’en intérêt commercial, ce mouvement reste une victoire portée par tous ceux qui ont su le soutenir pendant des décennies de vaches maigres et de persécutions judiciaires.
Quel est le projet qui te tient à cœur et que tu aimerais réaliser ?
J’aimerais gagner suffisamment ma vie pour pouvoir me consacrer davantage à l’expérimentation numérique tout en continuant à déployer mon imaginaire imprégné de mes expériences de vie sur des surfaces inattendues.
Je voudrais m’installer près du lieu qui fût en France l’origine de la technique de la tapisserie qui justement a permis le déploiement d’un imaginaire fantastique féérique et magique, à savoir la Femme à la Licorne dans la Creuse. Ce qui me permettrait de pouvoir bénéficier d’un environnement plus propice et adapté à l’exercice de ma pratique. Je reste donc attentif aux opportunités qui me permettront d’accéder à ce nouveau monde rêvé.
Retrouvez le travail de Popay sur son site Internet.
Propos recueillis par Eleftheria Kasoura
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